J'ai lu cet article et je lai trouve intéressant :
Une maison qui saigne ( dans les années 2000)
Gérard C. - Seine & Marne, explique:
Il y a quelques mois, après une randonnée en forêt de Fontainebleau, nous faisons halte dans un joli village où nous tombons en arrêt devant un magnifique bâtiment ancien portant un écriteau : "A Vendre".
Pour nous, c'est le coup de foudre.
Certes, le corps de ferme semble bien délabré et il faudra d'importants travaux pour le rendre habitable. Mais notre amour des vieilles pierres nous incite à nous enquérir du prix.
Nous trouvons le gîte et le couvert non loin de là, au café-hôtel de la place. Ma femme se renseigne auprès de l'aubergiste depuis combien de temps la maison est à vendre et quel en est le propriétaire.
Notre hôte nous regarde, intrigué.
- Vous m'êtes sympathiques ! Alors si je peux vous donner un conseil, laissez tomber ! C'est une affaire pourrie ! La bicoque est hantée !
Cette remarque nous ferait plutôt sourire. Professeurs tous deux, d'esprit cartésien, les histoires de maisons hantées ne nous impressionnent guère.
Mis en confiance, il nous en dit davantage.
- Cette ferme est impossible à habiter ! Au siècle dernier déjà, il paraît que les animaux devenaient cinglés et y mouraient comme des mouches ! Un éleveur célibataire, plus téméraire que les autres, s'y installa et aménagea un modeste logement au-dessus de l'écurie. En trois ans il devint fou, comme ses chevaux. D'après son arrière petite-nièce, qui vit toujours à la maison de retraite, l'eau du puits devenait rouge les nuits de pleine lune et les poutres de la maison saignaient...
- Oh ! dis-je alléché par ce parfum de mystère, quelle belle légende.
L'aubergiste me lança un regard curieux.
- Vous ne me croyez pas ?
- Si ! Si ! A qui appartient la maison à présent?
- Depuis la guerre, cinq ou six propriétaires se sont succédés là-dedans ! Dans les années soixante, des beatniks louèrent l'endroit pour y établir une sorte de communauté de marginaux, et c'était devenu un véritable bordel jusqu'à ce qu'une des filles se soit pendue et que la police ait nettoyé leur porcherie. Ensuite, ce sont des Parisiens qui vinrent y camper durant le week-end. Ils vivaient dans une vieille caravane installée dans la grange. On les retrouva morts dans la forêt, tués par des chevrotines.
Puis ce fut un couple d'Anglais, amateurs de chevaux. Le mari mourut d'un coup de sabot en pleine poitrine. Il y eut encore deux autres propriétaires, toujours des étrangers, car personne dans la région n'était assez fou pour acquérir cette ruine maudite. Enfin, c'est Dany qui a racheté le tout pour une bouchée de pain afin d'y entreposer des vieilles voitures. Lui ne croyait pas à toutes ces diableries.
Or, au cours d'un weekend de la Pentecôte, ses guimbardes de collection ont brûlé !
- Brûlé?
- Oui brûlé!
- Malveillance criminelle ?
- Non ! Combustion spontanée ont conclu les experts ! Le curieux c'est que la grange n'a pas été touchée ! A part les guimbardes et le matériel agricole, rien n'a cramé ! Le curé de l'époque, le père Barrioux, voyait la main du diable là-dessous, et il demanda à son évêque la permission d'exorciser les bâtiments pour le bien du voisinage!
- C'est une histoire incroyable !
- Et ce n'est pas tout ! Trois mois plus tard, Dany mourut sur la route, renversé par un chauffard. En fait, tous ceux qui ont habité la ferme depuis cent ans ont connu une mort suspecte ou devinrent fous. Ce n'est pas une blague, la ferme porte malheur !
Je revins à la charge:
- Mais qui en est aujourd'hui le propriétaire ?
- On ne sait trop ! La fille de Dany est morte sans enfant et intestat. On dit qu'il existerait une ribambelle de petits cousins à se partager cette ruine. C'est Maître C. qui est chargé de la succession !
Samedi matin, l'étude du notaire fonctionnait.
Je m'y rendis dès l'ouverture, et demandais à visiter la "ferme".
Un clerc pressé me confia les clés, prétextant un travail urgent pour ne pas nous accompagner.
Bras-dessus, bras-dessous, nous arrivons devant la demeure. Sa beauté et le parfum de légende qui l'entoure nous émeut. Pourtant, Jacqueline et moi ne sommes ni émotifs ni croyants. Ce qui nous attirait dans cette vieille bâtisse, c'était l'harmonie incroyable de son architecture, le mystère émouvant de ses pierres blondes. Tout en elle était parfait. Nous admirons en silence la vaste toiture en jolies tuiles de Bourgogne, la porte de la grange en voûte soulignée par deux contreforts de pierre de Château-Landon, l'imposant escalier à balustre accédant de guingois à une porte en plein cîntre, le four à pain aussi haut qu'une tour incorporée à la façade.
Une glycine centenaire se lovait le long des cornières, répandant à profusion ses grappes parfumées. Ici et là, un rosier aux fleurs à l'ancienne jaillissait entre les pavés mal assemblés et jetait des feux de couleur vive sur la patine du vieux puits.
Notre visite commença par la grange. Vingt mètres de long sur dix de large. Issu des murs épais d'un mètre se déployait un appareil de poutres impressionnant rayonnant en bouquet au-dessus de nos têtes.
Une chouette hulotte s'enfuit en poussant des cris d'effroi par une ouverture du toit. Suspendues aux solives, des chauves-souris énormes, dérangées dans leur sommeil, se balançaient en agitant leurs ailes gluantes.
Nous étions là, bouche bée, à admirer cette grange-cathédrale, lorsque ma femme bondit en arrière, en poussant un cri.
- Mon Dieu!
Je regardai la main rougie qu'elle tendait vers moi. On eût dit qu'elle venait de tremper son avant-bras dans du sang.
Nous refluons vers la porte et là, au soleil, nous examinons la chose avec calme. Bien que du coude à l'extrémité de ses doigts son membre parût saigner, Jacqueline ne portait aucune blessure.
Je courus tirer un seau d'eau à la margelle du puits et je lavais le bras de mon épouse.
J'eus de la peine à dissoudre les mystérieuses taches poisseuses, mais au bout de cinq minutes il n'y paraissait plus.
Nous visitons alors l'habitation proprement dite, découvrons une pièce avec une cheminée, une cuisinière de fonte à l'ancienne, quelques pauvres meubles sans âge recouverts de poussière.
A l'étage, des chambres aux proportions magnifiques, avec un mobilier disparate et complètement déglingué, des chaises dépaillées, des fauteuils écroulés, des tables bancales. Disséminés partout, d'immenses placards aux portes de chêne finement moulurées.
Notre visite terminée, notre coup de foudre pour ces vieilles pierres demeure, malgré l'incident bizarre.
Nous rapportons les clés à l'étude et demandons au clerc le prix de la propriété.
- Cent cinquante mille francs. Vingt-trois mille euros. En l'état. Fantômes inclus ! nous précise le tabellion, pince sans rire.
Ce n'était pas un mauvais prix. Evidemment, "en l'état" la maison était inhabitable.
Mais ma femme et moi aimions bricoler. Retaper cette vieille bâtisse ne nous faisait pas peur.
Après vingt-quatre heures de réflexion, nous allâmes signer la promesse de vente. Deux mois plus tard, à la veille des vacances d'été, nous nous installions dans la demeure avec lits de camp, sacs de couchage et réchaud de camping.
La grande aventure de la restauration commençait. Et les emmerdes aussi.
Dès la première nuit nous ne pûmes trouver le sommeil. Des bruits étranges, furtifs, des frôlements, des craquements, des courants d'air glacés nous tinrent éveillés.
Nous n'en attaquons pas moins les travaux, faisons venir un entrepreneur pour le gros oeuvre et les travaux de plomberie et d'électricité.
Au bout d'une semaine, ma femme et moi avons perdu plusieurs kilos.
Comme il faisait très beau, nous décidons de dresser une tente dans le jardin et de camper dehors. Bien nous en prit car le sommeil revint. Mais, coup sur coup, plusieurs incidents retardèrent nos travaux.
L'artisan plombier qui venait à peine de terminer la canalisation raccordant la ferme au tout-à-l'égoût tomba malade, et son compagnon abandonna le chantier pour retourner au Portugal. Deux autres entreprises déclarèrent forfait. A la mi-juillet, nous avions déjà dépensé la moitié de nos économies sans que les travaux fussent très avancés.
Nous ne nous laissons pas décourager. Et c'est pratiquement sans aide que nous achevons le raccordement, faisant courageusement tout nous-même. L'eau courante et l'électricité installés nous permettent d'aménager WC., salle de bains et cuisine.
Trois chambres, bibliothèque et salon sont retapés dans la foulée, les pierres jointoyées et les poutres grattées.
A la fin août, notre ferme est enfin devenue à peu près habitable. Nous sommes plutôt fiers de notre ferme hantée et de notre travail de restauration.
Pour fêter ça, nous organisons une petite réception pour les amis.
Le soir du 31 août, une bonne douzaine de copains sont là avec femmes et enfants. Le temps est magnifique. L'air doux. La glycine et les roses embaument. Musique, rires, buffet campagnard, barbecue et bonne humeur.
Vers dix heures, soudain, dans un ciel sans nuages, un violent orage éclate. Le vent se lève, féroce et tourbillonnant, renversant les tables tandis qu'une pluie diluvienne déclenche le sauve-qui-peut.
Nous nous réfugions tous dans la maison, autour du feu qui pétille dans la cheminée et la fête continue, avec un peu moins d'exubérance.
Vers une heure du matin, nos amis profitent de l'accalmie pour sauter dans leurs voitures et rentrer chez eux. Nous nous couchons tard, après avoir lavé la vaisselle et tout remis en ordre.
Durant la nuit l'orage continue à tourner au-dessus du village, zébrant le ciel d'éclairs blancs auxquels succèdent de violents coups de tonnerre. La sirène des voitures de pompiers ne cesse pas de hululer.
Ma femme et moi ne fermons pas l'oeil de la nuit. Les craquements du plancher, des gémissements, un bruit de pas dans le grenier nous tiennent éveillés.
Au petit jour, je me lève pour faire le café.
Mon épouse me suit et, à peine avons nous atteint la cuisine qu'elle pousse un cri.
Des interstices des parois de la vaste pièce commune suinte un liquide rouge et visqueux maculant nos belles pierres blondes amoureusement restaurées, tandis que sur le sol, des centaines de vers de terre sortent des murs rampant sur le carrelage. Le spectacle est effrayant.
Jacqueline, pourtant dotée d'un caractère solide, éclate en sanglots et, en pleine crise de nerfs, claque des dents prise de violents tremblements.
Nous rentrons à Paris le jour-même, Jacqueline refusant de rester une heure de plus dans cette maison hantée. Mon épouse achèvera ses vacances chez ses parents.
Têtu, je retourne à la ferme et, en quinze jours de travail acharné, je répare les dégâts et j'achève de restaurer la maison.
J'en étais à débarrasser la belle cave voûtée des tonnes de vieilleries qui l'encombraient, lorsque je découvris une porte de fer sertie dans la pierre.
Comme elle n'a ni gonds, poignée ou serrure, j'eus les pires difficultés à l'ouvrir. Le panneau rouillé semble littéralement enchâssé dans la paroi.
Une fois descellée, une exhalaison méphitique souffle ses miasmes à mon visage. Je recule épouvanté par l'odeur. Mais je reviens à la charge, torche en main et mouchoir humide sur le nez.
Un couloir s'enfonce en pente douce sous la maison, et me conduit dans une sorte de crypte souterraine, aux murs partiellement écroulés, où, à la lueur de ma lampe, je vois un vieux crucifix de cuivre au Christ cloué la tête en bas ! A ses pieds, je découvre avec horreur plusieurs squelettes d'enfants.
Secoué, je rebrousse chemin. Mais voulant en avoir le coeur net, je profitai de mes heures de loisir pour compulser les archives de la mairie et de la cure du village.
Après des semaines d'obstination, ce fut aux archives du département que je découvris le pot aux roses.
Notre ferme appartenait jadis à deux soeurs accusées de sorcellerie.
Brûlées vives voici trois siècles, elles refusèrent d'avouer sous la torture, ce qu'elles avaient fait des dépouilles des enfants sacrifiés au cours de leurs messes noires.
Je vous l'ai dit, je ne suis ni croyant ni superstitieux. J'ai toujours pensé jusque là que ces histoires de sorcellerie dissimulaient ni plus ni moins que de sordides querelles de clocher moyenâgeuses.
Heureusement, je n'avais parlé à personne de ma découverte.
Mais que faire maintenant ? Dès que je m'assoupissais après une harassante journée de travail, les "phénomènes" reprenaient. J'avais beau être libre penseur, il était devenu tout à fait évident pour moi qu'il y avait une relation de cause à effet entre les squelettes qui gisaient sous notre maison et les manifestations démoniaques auxquelles j'assistais.
Comment faire pour me débarrasser de cette "malédiction" ?
Bien que j'éprouvasse une forte répugnance à cette démarche, je me décidai tout de même à rendre visite au vieux curé de notre paroisse.
Le brave homme me reçut avec simplicité à son presbytère, et il écouta mon histoire sans trop d'étonnement.
Il me promet de venir sur place, se rendre compte. Très tôt le lendemain, il arrive par la porte arrière de notre propriété et m'accompagne à la cave.
Il constate que je ne lui ai pas menti. Devant le Christ retourné, il se signe dévotement à plusieurs reprises, en murmurant une prière latine. Il s'agenouille ensuite devant les ossements fort bien conservés qu'il examine méticuleusement, en véritable archéologue.
Il se relève, prend son missel, son encensoir et ses vêtements sacerdotaux dont il se revêt. Il exécute alors avec une émouvante simplicité le rituel latin de la messe des morts.
Sont-ce les circonstances, l'heure et le lieu de cette cérémonie insolite? Toujours est-il que je me sens ému. Une sorte de jubilation monte en moi, une joie inconnue m'envahit...
Avant de quitter l'ossuaire, le prêtre détache le Christ profané et le remplace par un petit crucifix sulpicien qu'il bénit avant de le suspendre au vieux clou rouillé fiché dans la paroi.
- Vous pouvez murer l'ossuaire maintenant, leurs âmes sont en paix auprès du Seigneur. Vous, aussi, mon fils, allez en paix, et que la paix du Christ vous accompagne !
Je murai la crypte, remis le battant de métal dans son scellement et le revêtis d'une garniture de vieilles pierres.
Dès lors tout rentra dans l'ordre et il n'y eut plus jamais de manifestations insolites.
Peut-être notre ferme avait-elle été construite à l'emplacement de la maison des soeurs Vaillant, deux sorcières brûlées vives au 16e siècle après un procès sordide, et dont j'avais trouvé les minutes aux archives de Fontainebleau ?
source : le monde de Kaisou